Comment dire adieu sous le masque ?
Des mois que ça persiste. Le coronavirus a piégé nos vies, a pris en otage notre quotidien et comme si cela ne suffisait pas, il a privé nos morts. Aujourd’hui, des êtres chers partent, le voyage s’évanouit sur la terre pour prendre racine ailleurs. Nous ne pouvons leur dire au revoir comme au temps où la proximité était autorisée. Nous subissons de plein fouet les conséquences de la maladie. Un masque au revers suffoquant nous sépare des nôtres, il ôte bien des mots, il vole tant de douceur. Heureusement, plus puissant que ces entraves, l’amour nous porte. Cette force inspirante élève nos cœurs malmenés au-delà de la tragédie. Le corps n’est plus. Demeurent nos liens indéfectibles mais aussi (et malheureusement) l’injustice de notre adieu menotté. Elle nourrit le feu de la douleur. Alors, comment l’apaiser ?
Les témoignages fleurissent : nous sommes condamnés à faire nos adieux sous le masque, des larmes de tristesse et de frustration au bord des yeux. Il ne nous reste plus qu’à réapprendre à dire au revoir. Les rituels, indispensables en temps de deuil, doivent perdurer et trouver une place, ailleurs, autrement.
Lors du premier confinement, le poète national Carl Norac, a entrepris le projet « fleurs funéraires ». Conscient de la souffrance engendrée par tant de disparitions et par l’absence de gestes sacrés, il a réuni poètes du nord et du sud du pays autour d’une même priorité : l’écriture pour calmer les douleurs. Il prête sa plume à des familles en quête de poésie pour rendre hommage à leur proche. Il offre des mots, propose des textes où se réfugient émotions et souvenirs. C’est dans cette boîte remplie d’odeurs, de sentiments, de liens, d’humanité, qu’il faut aller puiser du courage : les souvenirs. Ils aident à se remémorer, à dire au revoir ensemble, à partager le passé que nous avons tant chéri. Dès lors, nous pouvons écrire nos morts, les rendre vivants en poésie. Nous pouvons aborder le chemin du deuil.
Des poèmes qui ôtent les barrières et qui remplissent les mètres de distance imposés. Comme le relate Carl Norac pour la RTBF : "c’est vrai que d’habitude il y a une minute de silence au milieu des discours lors d’un enterrement, et ici c’est l’inverse, c’est une minute de poésie dans un silence souvent assez assourdissant. Ce que les gens nous écrivent, c’est qu’on a l’impression que leur désarroi est pris en compte, […] et qu’on arrive, qu’on tente en tout cas, de mettre quelques mots sur l’indicible qu’ils ressentent, et ça, c’est quelque chose qui leur est très cher".
Nous pouvons aussi visiter nos disparus dans le cimetière qui les accueille. Le cimetière représente un lieu symbolique dans lequel les émotions qui débordent sont souvent déposées. Culpabilité et colère de ne pas avoir été là lors du dernier souffle, frustration de devoir masquer nos échanges, tristesse incommensurable de perdre un être aimé…, ce qui est ressenti profondément doit être évacué. En ce sens, les rituels détiennent de réels bénéfices. C’est pour cette raison que nous devons nécessairement redéfinir notre manière de dire au revoir, de symboliser la fin de la vie, le début du deuil.
A l’heure où le virus n’a pas fini de cultiver les peines, ne nous enfermons pas dans la nôtre, prenons le temps de dire adieu, soyons prêts à déposer nos souvenirs aux creux de mots puissants et de rimes douces.
(Anne-Sophie Debauche - Source : RTBF - Illustration : Pixabay - Pixel2013)