La quête du corps parfait, conséquence d’une crise interne
Le corps parfait, cette obsession grandissante propre à notre société de performance ne flanche pas devant la crise actuelle. Prêts à tout pour des abdos dessinés, une taille de guêpe, un fessier rebondi et des jambes aussi dures que le marbre, certains sacrifient leur bien-être, pourtant censé être leur plus grande source de motivation.
Interviewée dans Le Vif Weekend, Isabelle Queval, anciennement sportive de haut niveau et actuellement professeure, chercheuse mais également philosophe, offre son point de vue sur les conséquences du confinement et le rapport qu’il entretient avec notre corps. Loin d’être une pause d’« image », l’isolement a renforcé notre jugement. Plus critiques encore, plus exigeants, il persiste en nous un désir parfois malsain de maitriser notre apparence. Isabelle Queval explique que l’être humain lorsqu’il est privé de mouvements, a une tendance au dysfonctionnement. « Etant contraintes de rester chez elles, beaucoup de personnes ne rêvent que d’une chose, bouger, et elles se précipitent ainsi dehors pour faire un jogging, alors qu’elles ne le faisaient jamais. […] force est de constater que cette norme du corps en action, du corps performant, du corps maitrisé (qui est en fait tout l’enjeu) reste encore très forte. ». S’enclenche doucement la course infernale à la perfection.
Le culte du corps : origines
Les techniques de développement personnel, la pensée positive, la connaissance de soi et la recherche du bien-être, représentent des notions purement contemporaines. En effet, vers la seconde moitié du 20ème siècle, l’homme s’est écarté des idéologies politiques et des croyances religieuses pour se (re)positionner au centre de ses observations. Il a mis la terre, la vie du « maintenant » et du « plus longtemps encore » à la tête de ses préoccupations. Il a commencé à prendre soin de lui. La réussite de son existence réside désormais dans une compréhension profonde de lui-même et bien sûr dans une santé en béton. Actuellement, et davantage avec la pandémie que nous connaissons, l’hygiène de vie est la clef d’une bonne santé. « Etant un des vecteurs principaux de cette santé, le corps est naturellement devenu objet de culte. D’où cette obsession pour la forme et la jeunesse éternelle. » révèle Isabelle Queval.
Les dérives de la perfection
Malheureusement, l’interprétation que nous faisons de l’hygiène de vie varie beaucoup selon les individus. Régimes extrêmes, sport à outrance, exercices de musculation en série, composent pour certains la recette du bonheur ultime et mènent à bien des dérives… Privés de plaisirs et prisonniers de La positive attitude qui envahit l’air autour, comme une publicité qui s’affiche sur les écrans, ces accrocs au sport regardent s’éloigner les émotions, les jours de moins grande forme, pour être spectateurs de projections plus parfaites les unes que les autres. Au revoir la tristesse, les petites peines et les coups de blues, le négatif n’a pas sa place dans cette recette du bonheur. Aujourd’hui, il FAUT se présenter sous son plus beau jour et ce, en toutes circonstances. La critique se fonde sur l’extérieur, le corps qui présente bien est le reflet de la santé et tout ce qui sort du cadre souffre de discrimination. Voilà ce qui ronge.
La naissance de nouveaux troubles
Le lâcher-prise ne fait plus partie du vocabulaire de ces nouveaux esthètes du 21ème siècle. Ils oublient le goût des bonnes choses. Leur quête du bien-être ne connait aucune limite. Ils confondent alimentation et médicament. La nourriture n’est plus que ça, un remède physique, un choix du sain et du pur, rien d’autre. Cette conception alimentaire s’appelle l’orthorexie. Il s’agit d’un nouveau trouble du comportement alimentaire qui s’insinue sournoisement dans les habitudes et génère beaucoup d’anxiété. Carl Cederström et André Spicer, auteurs du livre « Syndrome du bien-être » indiquent « comment la recherche du bien-être optimal, loin de produire les effets bénéfiques vantés tous azimuts, peut provoquer un sentiment de mal-être et participe au repli sur soi ».
Le culte du corps accapare notre énergie, écrase nos angoisses sans les entendre et fait grossir notre sens de la comparaison. Nos défauts deviennent des ennemis alors même qu’ils nous rendent humains. Mais, comment arrêter la course infernale ? Ne pas sombrer dans le repli, accepter nos aspérités et apprendre à mieux écouter, surtout les autres, voici ce qui nous sauvera.
(Anne-Sophie Debauche - Source : Le Vif Weekend/RTBF - Illustration : Pixabay - 5132824)