Le jour où j'ai téléphoné à l’agence Belga pour le résultat d'un match de basket universitaire...
Qu'est-ce qui explique l’incroyable engouement autour de la 'March Madness', qui est après le Superbowl l’évènement sportif le plus suivi à la télévision aux Etats-Unis? François Gossiaux répond dans le détail à cette question et nous raconte ses premiers brackets...
L’histoire débute le lundi 30 mars 1987…
Ce jour-là j’ai 20 ans, je suis jeune et beau ! Bon, OK je suis jeune.. Et je traine dans un bar près de l’ULB (la Bastoche, le Banning, le Gauguin , je ne m’en souviens plus) et j’attends quelqu’un pour un rendez-vous galant, pour aller voir un concert ou plus probablement une guindaille à la salle Jefke ! Donc, cette personne n’arrive pas et j’en suis réduit entre deux bières à me sustenter avec un exemplaire du soir qui traine sur le comptoir et dans lequel (sans doute pour la première et dernière fois de sa longue existence il y a un long article qui parle du final four du championnat universitaire américain de basket-ball.
Dieu seul sait pourquoi je lis l’article qui traite des demi-finales qui ont eu lieu la nuit du samedi au dimanche précédent, et je me rappelle parfaitement que le favori, Nevada-Las Vegas, se fait sortir par Syracuse, une fac de l’état de New-York qui affrontera en finale l’université d’Indiana. A l’époque le basket américain n’intéresse absolument personne en Europe, et je me souviens d’ailleurs que pour la première NBA finals que j’a vu en direct à la TV, Los Angeles Lakers-Detroit Pistons en 1988, nous n’étions que 2 spectateurs à regarder le 7ème match décisif en direct dans l’unique sports bar bruxellois de l’époque !
Bref, pour une raison que seul mon esprit torturé peut expliquer, le mardi matin je téléphone à l’agence Belga pour connaitre le score, ben oui il y a eu une vie avant internet ! Et après 4 ou 5 essais infructueux je reçois enfin d’un rédacteur plus compréhensif que les autres l’info et un court résumé de la victoire 74-73 des hoosiers d’Indiana qui sans surprise n’aura absolument aucun écho dans la presse francophone de l’époque.
Et là, je ne sais pas, pris d'une fulgurance… Bon, une bonne part de snobisme comme d’habitude chez moi, je commence à m’intéresser au brol… Pour la saison 1988 je choisis une équipe à supporter religieusement et franchement avec 32 conférences et plus de 330 universités qui concourent pour le titre il y a le choix ! Cette saison suivie essentiellement via la radio des forces armées américaines en Europe et l’édition du lundi du Herald tribune, mon équipe se débrouille pas trop mal, flirte avec le top 20, se qualifie pour le tournoi final et se fait éliminer avec les honneurs au deuxième tour par un des cadors de la compétition, et en plus bien avant l’apparition des chaines payantes et le satellite le final four est retransmis miraculeusement sur une chaine généraliste de sport disponible sur le câble belge (finale Kansas avec Danny Manning contre Oklahoma )
Aout 1989 c’est le miracle ! La fac que je supporte vient jouer 2 matchs de présaison en Belgique ! Je n’ai pas de bagnole mais je vais a l’Hellas Gand et au Sunair Ostende (en passant mes nuits dans les gares et dans les bars grâce aux horaires merdiques de la SNCB ) pour les supporter, et suprême honneur après le match a Ostende le coach de l’équipe ( LaDell Andersen) me repère dans le public, me fait signe et m’offre un maillot de l’équipe pour mon support….Hallelujah ! Depuis lors je n’ai plus arrêté… l’autre jour j’ai même retrouvé mon premier bracket ( j’y reviendrai plus tard ) de 1989, dont je me servais comme marque page dans un des premiers romans de Brett Easton Ellis.
Et puis, il y a eu folle saison de Loyola Marymount et la mort de Hank Gathers en plein match en 1990, l’incompréhensible faute technique de Chris Webber à 3 secondes de la fin qui donne le titre a North Carolina en 1993, le président Bill Clinton venant supporter Arkansas au milieu de la tribune avec les fans en en 1994 (match vu en direct depuis le trou de cul du monde au fin fond du désert du Rajasthan ) , la seule fois de ma vie ou j’ai supporté Kentucky en finale contre l’antéchrist de Utah en 1998, les 2 victoires aussi faciles qu’inattendues de Florida en 2006 et 2007, Memphis qui s’écroule dans le money time contre Kansas en 2008, ce panier à 3 points de Gordon Hayward de Butler à la dernière seconde de la finale 2010 qui hésite et ne rentre pas, ce shoot de la dernière chance que n’ose pas prendre Stephen Curry pour Davidson contre Kansas ou cette mi-temps dramatique du premier tour en 2018, Virginia, grandissime favori pour le titre et qui n’a pris en moyenne que 52 points par match en encaisse 54 en 20 minutes contre une équipe de 3eme zone… ou VCU, Georges Mason ou Loyola Chicago arrivant au final four malgré des côtes dignes de celles du Luxembourg à la coupe du monde de foot, bref chaque année il y a quelque chose !
Alors certains me diront, oui mais la NBA c’est mieux non ? Et bien non ! Comparer la NBA au college basket, c’est un peu comparer le catch avec la boxe. D’un côté un show qui est avant tout maximisé pour la télévision afin de rendre le sport le plus spectaculaire possible en édulcorant les règles pour le spectacle plus spectaculaire (interdiction de la défense de zone, obligation de shooter en moins de 24 secondes, avantage systématiquement laissé à l’attaque…) Bref on en arrive à un barnum pour touristes ou on favorise un maximum l’entertainment, l’exploit individuel, des scores a la limite du ridicule ( 170-150 lors du dernier all star game ) et des dunks toutes les 20 secondes…pffff !
Alors que de l’autre on a des règles simples et inchangées depuis 100 ans, un jeu âpre et austère ou c’est le collectif qui est prépondérant par rapport à l’individuel ou la gestion du temps est essentielle on n’hésite pas a faire des fautes pour récupérer le ballon plus rapidement, quitte a donner un maximum de lancers francs à l’adversaire, en préférant tabler sur les faiblesses de l’adversaire que sur ses propres forces et ou le public estudiantin , loin des hipsters et des bobos est aussi chaud que lors d’un derby a Belgrade ou a Istamboul !
Et puis surtout, il règne dans la puissante ligue professionnelle une prévisibilité qui confine à l’ennui le plus profond, jugez-en plutôt ! sur les 50 dernières saisons une seule équipe en dehors du top 3 de la saison régulière a réussi a remporter le titre, et d’ailleurs, tout du home field advantage en passant par les séries en 4 matchs gagnants concourent à éliminer les surprises et à favoriser les meilleures équipes ! et qu’est ce qui est plus ennuyeux dans le sport que de voir systématiquement le plus fort, le plus riche, le plus beau ou simplement le meilleur l’emporter à la fin ?
Alors qu’a contrario chez les universitaires le tournoi se joue sur terrain neutre en un seul match ou personne n’est à l’abri d’un jour sans, d’une blessure, d’un taux de réussite calamiteux aux lancers-francs, d’un excès de confiance, d’une décision arbitrale litigieuse, d’un coup de chance incroyable de l’adversaire ou d’un manque d’influx nerveux au moment critique… Là, il n’y a pas moyen de se rattraper ! C’est vaincre ou mourir, et c’est exactement ce nivellement des valeurs résumé en 2 fois 20 minutes qui rend le March Madness si palpitant !
Ensuite il y a le fait que dans le sport universitaire les joueurs ne sont (du moins en théorie, mais il ne faut pas se voiler la face) pas rétribués, a part au niveau des bourses scolaires et académiques malgré les sommes folles qu’encaissent les département athlétiques des diverses universités grâce aux droits télévisés, aux diverses licences, aux contrats de sponsoring et au merchandising. Et comme il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus (la draft annuelle de la NBA se limitant a une soixantaine de joueurs provenant du réservoir universitaire, mais aussi du reste du monde) , on est à un niveau ou on joue plus pour la gloire que pour l’argent.
Et s’il n’y avait que ça. Mais il y a le support aussi ! Chaque américain digne de ce nom voue une fidélité inaliénable a son université qu’elle soit son alma mater, celle de sa ville ou simplement celle qu’il supporte. Il est commun pour les anciens élèves de la financer via des dons, d’y apposer fièrement le drapeau à coté du Stars and stripes sur la façade de la maison et de disposer de toute la panoplie des t-shirts, polos, cravates ou chaussettes aux couleurs de ses favoris. Quand on se rend compte que l’équipe de basket de l’université du Kentucky, dont la salle qui peut accueillir 23500 spectateurs est systématiquement sold-out depuis plus de 15 ans et que la liste d’attente pour les abonnements annuels est de 7ou 8 ans on comprend mieux l’ampleur du phénomène.
C’est un peu tout ça qui fait que l’intérêt autour du sport universitaire est poussé à un tel paroxysme là-bas, et qui explique l’incroyable engouement de la March madness, qui est après le Superbowl l’évènement sportif le plus suivi à la télévision. La, les choses sérieuses sont en train de commencer la semaine dernière ont eu lieu les différents tournois de conférences qui ont permis de distribuer les 68 tickets pour le tournoi national qui ont été dévoilé en direct en prime time dimanche soir à la télévision juste après la finale de la conférence Big Ten qui traditionnellement clôture cette partie de la saison.
Ensuite arrive la partie la plus excitante du processus avec la confection de son propre bracket, soit des pronostics pour les 63 matchs du tournoi principal en essayer de deviner les 4 participants au final four et par extension le champion final. Ce jeu a base d’analyse, de connaissances, de perspicacité et souvent de chance est partagé annuellement par plus de 20 millions d’américains, avec en tête de gondole l’ancien président Barack Obama, qui s’est révélé être un aussi piètre pronostiqueur que votre serviteur puisque nous avions en 2018 et 2019 le même pronostic pour le final four, sans, hélas beaucoup de résultats. Mais bon il y a de l’espoir, en 2013 par exemple j’ai terminé a une fort honorable 1164eme place sur les plus de 6 millions de parieurs sur l’application de ESPN en pronostiquant le vainqueur ( Louisville ) mais aussi les 3 autres demi-finalistes ( Michigan, Wichita state et Syracuse) comme quoi…
Donc nous y voila ! On est lundi, il est 19h00 ma feuille vierge est devant moi et ce soir je vais devoir traquer les statistiques, écouter des podcasts, lire des articles spécialisés pour savoir si…. Gonzaga va-elle devenir la première équipe à terminer la saison invaincue en 44 ans ? Est-ce que Virginia et Kansas en quarantaine à cause du Covid vont revenir à temps pour le match d’ouverture ? Est-ce que l’équipe que je supporte ( BYU ) va-t-elle enfin passer un tour ? Est-ce que le joueur le plus excitant de la saison ( Luka Garza, Iowa) et le futur premier choix de la draft ( Cade Cunningham, Oklahoma state ) parviendront-il à emmener leur équipe loin dans le tournoi ? Est-ce que Michigan peut performer sans son joueur vedette, Isaiah Livers qui vient de se fracturer le pied 5 jours avant le premier tour ? Est-ce que le conte de fée de Georgetown et Patrick Ewing, champion de la big east à la surprise générale va-t-il continuer ? Est-ce que la « never say die » attitude de Ohio state sera-t-elle suffisante dans le money time ? Est-ce que le jeu intérieur de Texas sera prépondérant par rapport aux shooteurs à 3 points ? Est-ce que le collectif d’Illinois va tenir, malgré le manque de profondeur de son banc ? Quelle petite équipe causera un « upset » au premier tour ? Qui sera la surprise que personne n’attendait ? Et finalement… Quelle équipe ira couper les lacets des paniers du Lucas oil Stadium de Indianapolis la nuit du 5 au 6 avril prochain ?
Maintenant que vous avez toutes les clés en main, c’est à votre tour !
La March Madness 2021 bat son plein…..
(François Gossiaux/Pictures : Unsplash)