Polémique : un « bonjour » mal placé divise la Belgique
La politesse serait-elle un vilain défaut ? En tout cas, selon la loi belge du 18 juillet 1966 : « oui ». Du moins si le bonjour est dans la mauvaise langue au mauvais endroit dans le train. Triste polémique.
En Belgique, il y a des lois linguistiques, dont celle du 18 juillet 1966 (c’est dire si elle est d’actualité) sur l'emploi des langues en matière administrative. Et elles s’appliquent dans les trains. Ainsi les touristes sont souvent surpris de voir leur accompagnateur de train parlant français au départ, devenir néerlandophone à l’arrivée. En effet, sur une ligne entre Charleroi en Wallonie et Anvers en Flandre, passant par Bruxelles, les annonces doivent être faites de la manière suivante : en français entre Charleroi et la frontière linguistique avec la Flandre où le néerlandais est de mise, puis bilingue dans la région bruxelloise, avant de repasser en néerlandais une fois sur le territoire de Vilvorde (oups, Vilvoorde), jusqu’à Anvers. Et c’est pareil pour le cheminot en cabine, il recevra les indications dans les langues propres à la région traversée, dont une est germanophone (petite cerise sur le gâteau fédéral).
Contrôleur trop bilingue
Et paf ! Un accompagnateur n’a pas révisé sa géographie, en s’approchant de Vilvorde, après avoir quitté Bruxelles, il est entré dans une voiture en disant « Goeiemorgen-Bonjour ». Aïe, il a dit « Bonjour », tout sourire, dans le compartiment alors que les boggies étaient en territoire flamand. En tout cas, cette politesse à l’intention des voyageurs francophones n’a pas plu à un usager un peu flamingant qui a porté plainte. Pourtant, ce n’était pas une annonce au micro où l’usage des langues est particulièrement réglementé. Des procédures contraignantes que même la SNCB/NMBS (la compagnie ferroviaire nationale) voudrait simplifier « afin que nos accompagnateurs de train puissent se concentrer principalement sur leur travail ».
Ceci n’est pas une annonce
Comme l’explique d’ailleurs l’accompagnateur coupable de bilinguisme inapproprié Ilyas Alba, très suivi sur les réseaux sociaux où il tient une page ludique sur Facebook : « j’ai lancé un "Goeiemorgen-Bonjour" en entrant dans le compartiment juste avant d'arriver à Vilvorde […] ce qui n'est pas une annonce et n'a rien d'illégal ». Il ajoute d’ailleurs : « une annonce en français à Vilvoorde est interdite si elle n'est pas également faite en néerlandais, allemand et anglais. Par contre, saluer l'ensemble des voyageurs durant le contrôle par un simple "Goiemorgen - Bonjour", n'est pas interdit. C'est ça que j'ai fait et que je dénonce. » Du pur surréalisme !
Polémique politique
Et évidemment, cette plainte et son écho dans la presse ont alimenté la polémique entre les politiciens du sud du pays comme le ministre démissionnaire de la Mobilité, Georges Gilkinet (Écolo) et ceux du nord comme le président du parti flamand de centre droit CD&V, Sammy Mahdi. Partie de ping-pong. Gilkinet au service : « Sur un territoire aussi exigu que la Belgique, nos trains circulent sur un même trajet d'Anvers à Charleroi ou de Liège à Ostende, en passant par Bruxelles. De plus, nous pouvons nous réjouir que de nombreux touristes, notamment des Français et des Néerlandais, utilisent le train pour se rendre à Bruges ou à Dinant. Cela n'a que peu de sens, entre autres d'un point de vue commercial, de ne pas les informer dans la langue qu'ils comprennent. »
La peur !
Retour de service de Mahdi : « Toute ma sympathie pour cet accompagnateur de train qui avait certainement de bonnes intentions, mais, en tant que pouvoir public, on ne peut pas jeter comme ça par-dessus bord notre législation linguistique ». Le président du CD&V estime qu’un assouplissement des règles est une démotivation à apprendre le néerlandais pour les nouveaux arrivants en Flandre. Il s’imagine sans doute qu’une vague de Wallons prend régulièrement le train avec armes et bagages pour s’installer en Flandre, sans doute appâtés par sa richesse. Or, on parle ici de voyageurs, de citoyens, de touristes – parfois étrangers – faisant l’effort de prendre le train, peut-être pour visiter une ville flamande et découvrir ses joyaux. Ou même, des Belges francophones ayant eu l’envie (saugrenue ?) de dépenser leur argent wallon dans des commerces flamands. À moins que pour ça aussi, il faille s’exprimer uniquement dans la langue de Vondel ? Quelle image veut-on donner de la Belgique avec de telles règles sur un territoire où l’on change parfois de région 4 à 5 fois sur moins de 100 km ? Un peu de bonne volonté et de tolérance seraient les bienvenus dans un pays où une grande partie de la population comprend une langue commune : l’anglais.
(Olivier Duquesne – Sources : HLN, DHNet, L’Avenir, SudInfo, Le Soir – Picture : © SNCB - NMBS)